Du vendredi 26 janvier au dimanche 7 avril 2024 – Galerie d’art du VILLAGE D’ARTISTES
Place du Mail, Rablay-sur-Layon – 49750 BELLEVIGNE-EN-LAYON
« Niki Neuts. Fragments baroques »
Par Stéphanie Pioda, historienne de l’art et critique d’artLe titre de l’exposition de Niki Neuts renvoie au mouvement artistique qui a marqué l’Europe des XVIIe et XVIIIesiècles, et auquel on associe cette idée d’accumulation, de démesure ou même d’exubérance. Un des exemples les plus significatifs de ce débordement décoratif est peut-être la basilique Santa Maria Maggiore de Bergame, dans laquelle l’œil n’en finit pas d’être soufflé par l’abondance et de scruter les détails à s’y perdre. Mais chez Niki, il n’y a pas cette palette d’ors et de couleurs riches, puisqu’elle se réduit à l’interstice entre les noirs et les blancs – avec toutes les nuances de gris – et il n’y a pas non plus la notion de décoratif. Le baroque de Niki se situe dans l’accumulation des motifs et d’objets. Le titre des œuvres prolonge le propos, que ce soit avec Chaos, cette peinture monumentale où s’enchevêtrent éléments figuratifs et coups de pinceaux, ou avec Exubérance. Sur une table en fer, des objets luttent pour rester en place mais une grande vague noire donne le ton et le mouvement : « Elle entraîne tous les éléments dans une sorte de chaos », éclaire Niki. Celui qui ébranle la société depuis quelque temps, et qui, s’il pénètre les esprits, en appelle à une nouvelle ère. Après le Baroque, que l’on peut associer à un bouillonnement, une confusion et un désordre vient donc une période plus apaisée, sereine et pleine d’espoirs : une renaissance. D’où les graines qui sont prêtes à germer. D’où l’évocation du cycle de la vie.
Hybridations
Le trait est l’élément structurant des œuvres et de ce monde, le lien pour maintenir et relier le tout en équilibre fragile. Il s’agit du trait du dessin qui délimite les contours, qui se fait 3D, mais aussi le fil de la broderie sur le tissu ou le fil du temps. Ainsi, plusieurs strates se superposent et s’enrichissent mutuellement. « Accumulation, superposition, strates, traduisent un besoin de combler à tout prix ; comme si le manque crucial, indéfini, était la source, l’obsession » livre-t-elle. Et cette obsession se traduit par une sorte « d’horreur du vide » – comme on qualifiait au Moyen Âge ces reliefs dont la surface est entièrement sculptée, sans espace vide – et par des motifs récurrents tels des corps féminins ou morcelés, des cheveux, des vers de terre, des têtes de femmes, des angelots, des masques, des cornes, des fleurs, des têtes de mort… Ils s’entremêlent et semblent en mutation, en mouvement, jusqu’à ce que les règnes végétal, animal et humain s’hybrident en des chimères inquiétantes. Nous plongeons dans le monde imaginaire de l’artiste, à la frontière du réel, entre surréalisme et expressionnisme.
Faire sens
Tous les motifs sont chargés de sens et d’une certaine symbolique, nourris à la fois par la propre histoire de Niki et par l’inconscient collectif. Elle nous introduit le premier. « Corne : dans de nombreuses cultures, la corne est considérée comme un symbole de fertilité, de prospérité et de force. La corne est également associée à la nature et à la protection, car elle est un matériau naturellement résistant. » Le masque rappelle les arts extra-européens qu’elle affectionne tout particulièrement, mais aussi la transition entre l’intérieur et l’extérieur, le double de l’individu, la face que l’on veut bien montrer, et en miroir, celle que l’on souhaite cacher. Dans Exubérance apparaissent pour la première fois les plumes, faisant le pont avec l’histoire de l’art et avec certaines natures mortes dans lesquelles on voit des volatiles suspendus par les pattes à un crochet. Si ces faisans sont encore chatoyants et multicolores bien que morts, ici, Niki a choisi des plumes blanches, suggérant les colombes de la paix, une certaine pureté, peut-être même un oiseau originel. Le vers de terre quant à lui désigne le cycle naturel des choses : parce qu’ils ingèrent et digèrent la terre, ils aèrent les sous-sols et rendent les cultures possibles. Leur action permet la fertilisation des sols. Plus troublant peut-être est cet Autel, composé de 12 serviettes brodées accrochées à des crochets de boucher. Le chiffre évoque les mois de l’année, les signes du zodiaque, les heures du jour et de la nuit (donc le cycle solaire), les travaux d’Hercule… On descend dans les tréfonds de l’âme humaine qui a engrammé des mémoires si anciennes qu’on remontrait presque aux origines.